Mise à jour : 9.12.2009 par Julie Gervais, François Laplanche-Servigne, Gilles Pollet, Cécile Robert
La bibliothèque de l’administrateur (période 3 : 1950-1980) Entre science économique, sociologie des organisations et analyse de politiques publiques.
Triangle
L’objet de cette opération de recherche est de comprendre comment l’informatique s’insère dans le jeu administratif, en en reproduisant les luttes classiques et en modifiant les rapports de force qui le structure. Dans leur étude de référence, H.Jamous et P. Grémion, s’appuyant notamment sur les travaux du Centre de Sociologie des Organisations, ont décrit les modalités d’importation des technologies informatiques au sein de l’administration en mettant en évidence les affrontements d’intérêts, les luttes de concurrence entre groupes, entre corps, entre institutions. Leur entrée sur ce terrain d’enquête s’effectue sous l’angle des rapports centre/périphérie. A cette attention portée à l’informatique en termes d’analyseur du social, nous voudrions ajouter un autre angle de vue, attentif cette fois à la force d’inertie spécifique des techniques, attentif également aux compétences, aux expertises, aux savoirs qui sont nécessaires pour les manipuler.
Nos recherches s’orienteront donc dans deux directions. Tout d’abord, nous nous attacherons à l’analyse de la création et de l’institutionnalisation de lieux d’expertise, entre savoir et pouvoir. Enfin, nous analyserons les nouveaux rapports induits par l’informatique entre centre et périphérie, en portant la focale sur un objet qui nécessite un ajustement entre ces différents niveaux : l’informatisation des procédures électorales.
Il s’agit de comprendre les conditions sociales et historiques qui permettent à un niveau politique d’acquérir, de capitaliser et de monopoliser une ressource rare à l’orée des années soixante : le savoir informatique. Il est pour cela nécessaire de se pencher sur l’histoire de ces différents niveaux, de comprendre les raisons de leur sensibilité et de leur positionnement rapide sur la maîtrise des savoirs et savoir faire en matière de système d’information, c’est-à-dire initialement vis-à-vis de la technique qui préfigure l’informatique : la mécanographie. Mais il s’agit aussi de comprendre comment ce passé peut constituer, à l’heure du passage à l’informatique, une ressource ou une contrainte, en fonction des renouvellement de personnel, en fonction aussi des alliances passées avec d’autres secteurs de la révolution informatique des années 1960 que sont par exemple les sociétés de software (dont l’une des plus importante en France est la SEMA), ou encore les constructeurs de machines (IBM, GE, Compagnie Internationale d’Informatique, Bull…). De ce fait, ces lieux s’articulent autour de plusieurs impératifs contradictoires : impératif informatique, impératif modernisateur, impératif administratif. Entre recherche et développement commercial, entre volontarisme et rationalité économique, entre autonomie des niveaux administratifs et maintien de la cohérence globale du système, l’instrument est le produit de l’ajustement de ces logiques, en même temps qu’il permet leur coordination.
Nous nous intéresserons en particulier à la formation puis à l’institutionnalisation de la SEM Icare « Informatique Communale en Rhône Alpes », fondée en 1970 à Lyon par des acteurs régionaux (Ville de Lyon, de Villeurbanne, de Saint-Etienne, de Grenoble, Communauté Urbaine de Lyon…), avec le soutien de la Caisse des Dépôts et Consignation. Il s’agit en fait d’une opération d’informatisation concurrente à celle engagée par le ministère de l’Intérieur. Pour ce faire, nous partirons du niveau local, et des archives de cette SEM, conservée sous la cote 2023W des archives municipales, consultable sur dérogation seulement depuis le mois de janvier 2007. Ce fonds donne à voir la gestation et l’organisation de cette structure, ses rapports avec les acteurs concurrents à différents niveaux. Il donne aussi à voir la délicate question de la gestion de la pénurie d’informaticiens, et sa progressive résorption à compter des années 1980, laissant ainsi apparaître des modalités de recours à l’expertise fort différentes. Des entretiens pourraient également être menés pour décrire les carrières des agents et responsables de la structure.
L’analyse des modalités d’informatisation des procédures électorales – et plus particulièrement celle du fichier électoral – permet d’observer comment des acteurs s’ajustent à une nouvelle procédure. Elle met en relation l’INSEE, chargé des procédures informatiques, le ministère de l’Intérieur, chargé de l’organisation des élections, communes et préfectures chargées de la composition des fichiers d’électeurs. S’enchevêtrent, s’opposent et négocient différents niveaux d’action : les communes refusent par exemple de jouer le rôle de « stations de pompage » (Boucly, 1972) pour le niveau administratif supérieur (Préfecture, Intérieur, INSEE), tandis que ceux-ci s’efforcent d’imposer des modalités identiques de constitutions de ce fichier. A partir de 1978 et de la loi « Informatique et Libertés », viennent se greffer des enjeux légaux relatifs à la protection de la vie privée. Ce processus se situe de plus dans une perspective plus longue de modernisation de la procédure électorale (Dompnier, 2002), la constitution de ce fichier ayant pour objectif de faciliter et de rendre plus efficientes les opérations de révision des listes électorales (une personne ne pourrait ainsi plus être inscrite dans deux communes différentes).
Cette enquête sera menée à partir d’archives départementales et de versements au centre des archives contemporaines de Fontainebleau relatifs à l’informatisation du fichier électoral (versements 20050222 ; 19970063 ; 19920649). Cette approche par archives s’accompagnera d’une recension des travaux universitaires et des travaux d’expertises, menés notamment par des sociétés de conseil privés, visant à fournir une expertise informatique aux communes chargées de l’établissement de ce fichier. Il s’agira alors de s’intéresser au statut de cette littérature, à mi-chemin du conseil et du savoir, porteuse d’une représentation de l’action publique.