La mobilisation des savoirs pour la réforme

 

Circulation des savoirs de gouvernement et transformations de l’action administrative (XIX°-XX° siècles)

Présentation

Aujourd’hui, la question de la modernisation des administrations est au centre d’une littérature assez nourrie. L’échange de bonnes pratiques et de savoir-faire apparaît comme l’une des conditions de la modernisation. Le projet MOSARE, en proposant un détour historique, invite à un déplacement du regard sur ce couple savoir/administration. Si les chercheurs, ici rassemblés, ont déjà travaillé sur la production des sciences de gouvernement du dix-huitième siècle à nos jours, le programme de recherche s’interroge désormais sur le processus complexe d’autonomisation de l’administration.
Ce phénomène d’autonomisation est envisagé principalement à travers la mobilisation de savoirs par les administrateurs. Ces savoirs sont des marqueurs de circulations diverses et variées entre plusieurs scènes : une scène transnationale, une scène nationale et une scène locale. Ainsi nous souhaitons observer les effets de ces circulations sur les transformations de l’administration.

Ce processus d’autonomisation n’est toutefois pas envisagé de manière linéaire. Le projet s’articule autour de l’étude approfondie de trois moments (1815-1848 ; 1880-1914 ; 1950-1980) qui rendent compte d’une transformation des frontières entre administration et gouvernement. Chacun de ces moments renvoie à un rapport administrer/gouverner particulier, à un type de savoir spécifique valorisé au sein de l’administration (droit, économie, sciences sociales), à des (r)évolutions techniques, ou enfin à des éléments politiques comme la recherche de nouvelles formes de légitimité liées notamment à des changements de régime politique. Le projet se penche sur la production et l’incorporation de savoirs pour l’action publique et de savoir-faire destinés au perfectionnement et à la rationalisation de l’action politico-administrative. On pourrait juger à tort ces savoirs comme des éléments secondaires.

Non seulement ils révèlent et véhiculent des représentations constitutives de l’action administrative mais ils peuvent rendre possible l’innovation administrative et les transformations de l’administration. Les savoirs sont ainsi saisis comme des marqueurs et porteurs de l’autonomisation administrative. Pour éclairer cette mobilisation des savoirs favorisant une certaine autonomisation de l’administration, deux types d’enquêtes sont proposés. D’abord repérer la production de savoirs prenant l’administration pour objet. Ces savoirs sont pour une grande partie des dix-neuvième et vingtième siècles produits par des administrateurs. La frontière entre monde académique et monde pratique s’impose seulement au cours du vingtième siècle. Nous souhaitons donc étudier la formation de ces sciences de l’administration et leur progressive académisation.

Ensuite, à travers un terrain circonscrit, il s’agit de saisir la mobilisation de savoirs par les administrations et les transformations du travail administratif que cette incorporation rend possible (la maîtrise d’un savoir archivistique, l’autonomisation d’une compétence liée aux fleuves et rivières dans le premier dix-neuvième siècle ; la mise en place des concours et la valorisation des compétences dans les carrières administratives du tournant du siècle ; l’introduction de l’informatique dans les divers services administratifs dans les années 1960-1980). C’est au final, une analyse de la transformation de l’administration publique qui est ici proposée, sans pour autant postuler que les réformes administratives sont entièrement voulues, conçues et rendues possibles par l’administration centrale. Le projet MOSARE invite au contraire à une enquête empiriquement fondée sur la circulation des savoirs rendant possible la modernisation administrative. Et ce, en portant une attention privilégiée aux acteurs, individuels et collectifs, qui favorisent la circulation d’idées, de savoirs de technologies et d’innovation.